La nutrition chez les végétaux
5. Les sols et la pollution des eaux

Un bon sol, nous l'avons vu, doit pouvoir retenir l'eau efficacement. Que se produit-il s'il ne la retient pas? Il y aura alors lessivage. L'eau qui coule à travers le sol emporte avec elle les éléments nutritifs (les engrais) solubles. Ces éléments nutritifs seront emportés vers les nappes d'eau souterraines ou vers les cours d'eau avoisinants. Ces engrais qui s'ajoutent à ceux déjà présents dans le cours d'eau peuvent avoir des conséquences désastreuses sur le plan d'eau. Les lacs sont particulièrement sensibles à ce genre de pollution.

Lacs oligotrophes et lacs eutrophes

On divise couramment, en écologie, les lacs en deux catégories: les lacs oligotrophes et les lacs eutrophes.

Lac oligotrophe:

• Lac jeune (formation récente)
  Au Québec, la plupart des lacs se sont formés récemment (10000 à 15000 ans) suite à la fin de la dernière période glaciaire. Ce sont donc de jeunes lacs.
• Lacs généralement profonds.
• Eau pauvre en éléments nutritifs donc peu de production de végétaux (peu de plantes enracinées sur le fond et peu d'organismes végétaux planctoniques). L'eau est claire et cristalline.
• Eau riche en oxygène.

Lac eutrophe:

• Vieux lac ou lac ayant vieilli prématurément. Au Québec, puisque tous les lacs sont jeunes (moins de 15000 ans), les lacs eutrophes sont des lacs ayant vieilli prématurément.
• Peu profond. Beaucoup de sédiments accumulés dans le fond. Riche en éléments nutritifs (engrais) donc riche en végétation. L'eau est plus ou moins trouble et verdâtre à cause des sédiments en suspension et des nombreux organismes planctoniques (organismes animaux et végétaux microscopiques qui vivent en suspension dans l'eau).
• Eau pauvre en oxygène surtout l'été.
  À cause de la forte production végétale, beaucoup de matière organique se dépose sur le fond où elle est décomposée. Cette décomposition se fait d'abord par des bactéries aérobiques (qui respirent de l'oxygène). L'été, lorsque l'eau est plus chaude, l'activité de ces bactéries peut épuiser l'oxygène dissout dans l'eau.

L'eutrophisation accélérée d'un cours d'eau : la pollution organique

En vieillissant, un lac oligotrophe va devenir eutrophe. Dans certains cas, cette eutrophisation peut se faire anormalement vite. Le lac peut vieillir prématurément. En quelques années plutôt que quelques dizaines de milliers d'années.

L'eutrophisation peut être causée par:

• Ajout d'éléments nutritifs pour les plantes (particulièrement azote et phosphore)
  Un lessivage important des sols entourant le lac peut enrichir l'eau en éléments nutritifs pour les plantes.
  Dans les zones de villégiature, le phénomène est d'autant plus important qu'on traite les eaux usées par des fosses septiques. La matière organique qui se décompose dans ces installations fournit de l'engrais qui est absorbé par le sol (et, après, par les plantes qui poussent dans ce sol). Si ce champ d'épuration est trop restreint, si la végétation qu'il soutient ne parvient pas à absorber tous les engrais ou s'il retient mal l'eau qui s'y infiltre, les engrais peuvent alors être lessivés vers le cours d'eau le plus proche.
  

• Ajout de matière organique
  Tout déchet organique rejeté dans un cours d'eau alimentera la décomposition et donc la baisse d'oxygène (les décomposeurs consomment de l'oxygène). Les engrais résultant de cette décomposition favorisent la prolifération des algues en suspension (plancton végétal) et des plantes aquatiques.
  Exemples de sources de pollution par des matières organiques:
  • Dans certaines régions, on déverse encore directement les eaux d'égoûts dans le cours d'eau le plus proche. Cet ajout de matière organique et d'engrais peut gravement accélérer l'eutrophisation du cours d'eau. À une certaine époque, on déversait même les déchets d'abattoirs directement dans les cours d'eau.
  • Le déversement des fumiers et lisiers des animaux de ferme. On a déjà vu certains agriculteurs peu scrupuleux qui n'arrivaient pas à se débarasser du lisier de porc de leurs mégaporcheries vider leurs cuves débordantes dans le cours d'eau le plus proche. On imagine le résultat.
  • L'aquaculture : les déjections des poissons de pisciculture sont, le plus souvent, directement rejetées dans le cours d'eau. Certains qualifient les piscicultures de porcheries aquatiques! On estime qu'une pisciculture moyenne pollue autant que les rejets de 20 fosses septiques.
    

L'augmentation de la décomposition provoque une baisse du taux d'oxygène particulièrement au fond du cours d'eau. Les décomposeurs respirent de l'oxygène; plus ils sont nombreux et actifs, plus ils consomment d'oxygène. C'est pourquoi une augmentation de la décomposition aura pour effet de faire diminuer le taux d'oxygène de l'eau. Comme la décomposition c'est la transformation de la matière organique en éléments nutritifs pour les plantes, il y aura donc une augmentation des engrais disponibles aux végétaux du lac.

L'oxygénation d'un lac se fait surtout par le contact de l'eau avec l'air, donc en surface. En été, la couche d'eau en surface est plus chaude, et donc moins dense, que la couche en profondeur. L'eau de surface oxygénée "flotte" en quelque sorte sur l'eau plus froide. Tout au long de l'été, le fond perd de l'oxygène (activité des décomposeurs). Le lac n'est réoxygéné qu'à l'automne et au printemps quand la température de l'eau devient plus uniforme. L'eau de surface se mélange alors aux eaux du fond. Jetez un coup d'oeil sur ce schéma du cycle thermique d'un lac en pays tempéré.

Si le lessivage des rives est important, les engrais du sol sont alors entraînés dans le lac ce qui en augmente encore plus la teneur en engrais.

L'augmentation des engrais disponible (surtout les phosphates dans le cas des eaux douces) provoquera une augmentation de la production végétale. Les plantes aquatiques sur les berges et les organismes planctoniques végétaux en suspension (protistes et cyanobactéries) prolifèrent. L'eau devient verdâtre, les berges sont envahies d'herbes aquatiques. La lumière pénètre difficilement dans l'eau trouble. La végétation en profondeur, privée de lumière, meurt et active encore plus la décomposition (et donc la baisse d'oxygène et la production d'engrais). À certaines périodes de l'été, il peut y avoir littéralement "explosion" des populations d'algues. C'est ce qu'on appelle un "bloom".

La baisse d'oxygène va bientôt affecter la vie animale, particulièrement les organismes qui vivent au fond. Leur mort viendra encore activer la décomposition. Dans un premier temps, les organismes les plus sensibles au manque d'oxygène seront remplacés par de nouvelles espèces plus tolérantes (et, en ce qui concerne les pêcheurs, des espèces beaucoup moins intéressantes).Une espèce de cercle vicieux est enclenché, plus la décomposition est active, plus il y a de végétaux et plus il y a de décomposition. Le lac vieillit à toute vitesse. Les sédiments à moitié décomposés s'accumulent au fond et l'eau devient de plus en plus trouble. L'augmentation de la végétation ne compense pas les pertes d'oxygène. En effet, la photosynthèse se produit près de la surface, là où l'eau est chaude. Presque tout l'oxygène produit est libéré dans l'air. L'eau chaude "flotte" sur les eaux froides plus profondes. L'oxygène qu'elle contient ne peut donc pas profiter aux zones plus profondes.

À la longue, le lac va perdre toute valeur récréative. La fermentation anaérobique qui se produit dans les zones dépourvues d'oxygène libère des odeurs nauséabondes et l'eau devient impropre à la baignade.

Ce lac a été divisé en deux zones par une pellicule de plastique. Dans la partie au bas de l'image, on a rajouté des engrais et de la matière organique. Notez comment ces engrais ont stimulé la production végétale.

Lessivage et déboisement

Le déboisement des bassins versants et des rives est un facteur important d'eutrophisation des cours d'eau.

• La végétation permet d'absorber (et de transformer en végétaux) les éléments minéraux (engrais) provenant de la décomposition. Les engrais sont donc réutilisés par la végétation terrestre plutôt que d'être lessivés vers les cours d'eau.
  
  
• L'intense réseau de racines des végétaux contribue également à maintenir le sol en place. Sans ce réseau de racine, les fortes pluies peuvent éroder le sol, en arracher l'humus et l'entraîner vers le cours d'eau le plus proche. Le sol ainsi entraîné dans l'eau en augmente la teneur en matière organique (les particules d'humus) et augmente la sédimentation au fond de l'eau.
  
  La sédimentation peut être catastrophique lorsqu'elle détruit les frayères de certaines espèces de poisson. L'achigan, par exemple, fraie sur des fonds de gravier. Un apport important de boue provenant du bassin versant peut détruire les oeufs déjà pondus et rendre le fond inapte à de prochaines fraies.
  
  La sédimentation fournit également un sol favorable à l'enracinement de certaines plantes aquatiques envahissantes comme la Myriophylle (voir les documents sur la Myriophylle dont les liens sont sur la page d'accueil).
  
  
• La végétation permet de maintenir un taux d'humus important dans le sol. L'humus se forme surtout à partir de la végétation morte (feuilles mortes, par exemple). Sans un important couvert végétal, l'humus se décompose sans être renouvelé. Un sol pauvre en humus retient mal l'eau qui coule alors facilement vers le cours d'eau en entraînant avec elle les engrais et les sédiments légers.
  
  
• La végétation abaisse la température du sol et donc celle de l'eau qui parvient au cours d'eau. Sans végéttion, le sol absorbe toute l'énergie solaire et il devient donc plus chaud. L'eau de pluie qui coule sur ce sol ou dans ce sol (lessivage) se réchauffe donc plus ce qui contribue à réchauffer l'eau du cours d'eau où elle se rend. Une eau plus chaude favorise la décomposition et la prolifération de la végétation aquatique.

Lessivage et exploitations agricoles

L'agriculture moderne joue un rôle important dans l'eutrophisation des cours d'eau des régions agricoles.

• L'utilisation grandissante d'engrais chimiques plutôt que de fumures organiques favorise le lessivage (les engrais chimiques ne renouvellent pas la matière organique du sol qui retient l'eau).
  Si de grandes quantités d'engrais sont utilisés, le sol, moins riche en matière organique, retient moins bien l'eau et les engrais que la végétation n'a pas le temps d'absorber sont facilement lessivés.
• Le déboisement le long des cours d'eau bordant les terres cultivées et le long des fossés d'irrigation dans les champs favorise le lessivage des engrais et donc l'eutrophisation des cours d'eau environnants.

L'intoxication aux cyanobactéries

L'eau peut rapidement devenir impropre à la consommation et même à la baignade si certaines variétés de cyanobactéries s'y développent en grandes quantités. En effet, certaines cyanobactéries produisent des toxines qui empoisonnent l'eau.

Lire : Les algues bleues (cyanobactéries) et leurs toxines

Mesure de la pollution organique : la DBO

On peut mesurer le degré de pollution organique d'un cours d'eau en mesurant sa DBO₅, c'est à dire la demande biologique en oxygène.

La DBO₅, c'est le volume d'oxygène consommé par les organismes qui respirent (surtout des bactéries) dans un litre d'eau, pendant cinq jours. Pour prendre cette mesure, on place un litre de l'échantillon d'eau à tester dans un appareil qui mesure la consommation d'oxygène. L'eau doit être maintenue à la noirceur (sinon, l'oxygène dégagé par la photosynthèse des organismes planctoniques végétaux fausserait le résultat). Plus l'eau est riche en matières organiques, plus la décomposition sera importante et plus la consommation d'oxygène sera importante. Cette mesure permet donc d'évaluer indirectement la teneur en matières organiques d'un échantillon d'eau.